En pleine guerre digitale, il est temps pour le monde agricole de cultiver le champ de la communication

Le mois dernier j’ai eu le plaisir d’animer une table ronde lors de l’Assemblée Générale du groupe coopératif CAVAC (à revoir en vidéo ici). Le thème était d’actualité : la communication positive en agriculture.

En effet, depuis quelques mois, le terme « agribashing » a fait son apparition dans les débats au sein du monde agricole. Il pourrait se définir comme le sentiment d’un dénigrement permanent des agriculteurs et de l’agriculture dans les médias et sur les réseaux sociaux. Même le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, dénonce dans un communiqué du 9 janvier 2019 « l’agribashing systématique » dont font l’objet les producteurs français.

Les avis semblent divisés sur l’existence d’un agribashing. Selon Eddy Fougier, il y aurait en fait trois visions différentes :

  • Ceux qui nient ou du moins tendent à minimiser son existence
  • Ceux qui pensent qu’il existe mais qu’il s’agit avant tout d’une critique du mode de production conventionnel
  • Ceux qui en ont une vision extensive. 

Pour Emmanuelle Ducros, journaliste à l’Opinion, l’agribashing n’existe pas mais il s’agit plutôt de « pratiques décriées sur lesquelles on focalise. L’exemple du glyphosate est un très bon exemple ». Selon elle, « il n’y a pas de haine des agriculteurs en France. Il y a une forme de réflexion qui se focalise là-dessus ».  

Pour ma part, je suis contre l’utilisation croissante de ce terme car il a selon moi tendance à renforcer les agriculteurs dans cette posture que j’apparente à celle de « Caliméro », ce personnage de dessin animé des années 70 dont l’expression préférée était « c’est vraiment trop injuste ».

Mais pourquoi en sommes-nous arrivés à focaliser autant sur l’agribashing ?

Plusieurs constats s’imposent :

  • Les industriels de l’agroalimentaire ont depuis trop longtemps communiqué sur une image d’Epinal de l’agriculture, qui laisserait à croire que l’agriculture se pratique encore avec une charrue et des bœufs… Le grand public a donc une représentation idéalisée mais trop éloignée de la réalité du monde rural et du métier d’agriculteur. Il n’y a qu’à regarder ces quelques exemples piochés sur Youtube pour s’en convaincre :

https://youtu.be/l_QnjBtRG7k 

https://youtu.be/WjZopxlKb0o

  • La multiplication des émissions, reportages ou documentaires à chargecontre l’agriculture ou l’alimentation : des émissions comme Cash Investigation jettent le discrédit sur toute une profession et sèment le doute dans la tête des consommateurs. Eddy Fougier a par exemple montré que « dans l’émission Cash Investigation de février 2016 d’une durée de 2h15 consacrée aux produits phytosanitaires, plus de 500 termes anxiogènes ont été employés, soit en moyenne un terme anxiogène toutes les 16 secondes ».
  • La grande distribution a également joué un rôle. Prenons par exemple la fermeture progressive des espaces boucheries et la perte du contact entre les clients et les bouchers. Leur remplacement par des étals remplies de barquettes de viande sous plastique a entraîné une certaine coupure entre les consommateurs et les animaux dont ils se nourrissent. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 45% de la viande bovine achetée par les Français l’est désormais sous forme de viande hachée (source : https://lesmarches.reussir.fr/viande-bovine-la-part-de-la-viande-hachee-progresse).
  • Plusieurs scandales sanitaires comme les deux crises de la “vache folle” de 1996 et 2000, puis celle de la viande de cheval, en 2013 ou plus récemment le scandale Lactalis ont mis à jour le fonctionnement de filières désormais mondialisées mais également les conditions de l’élevage industriel.
  • La Pensée unique de certaines ONGqui refusent de voir la pluralité de l’Agriculture et cherchent systématiquement à opposer agriculture conventionnelle et agriculture biologique
  • Des médias et des journalistes qui ne traitent pas assez en profondeur les sujets agricoles. C’est notamment le cas des chaînes d’information en continu.
  • Des « marketeurs » qui surfent sur des concepts/des mots cléssans réfléchir au sens ni à l’impact d’utiliser les « buzz word » du moment 
  • Enfin, l’apparition des réseaux sociaux à la fin des années 2000 a également changé la donne dans la diffusion des messages. D’une part ceux-ci font caisse de résonnance. D’autre part ils participent également à la diffusion massive de fakenews.
  • Certaines causes bénéficient par ailleurs de relais très influents sur ces mêmes réseaux sociaux. Quand Beyonce annonce à ses 122 millions de followers Instagram, ses 62 millions de follower Facebook et ses 15 millions d’abonnés Twitter qu’elle a décidé de devenir vegan et qu’elle les incite à faire de même ce message a forcément une portée importante.
  • En France, les exemples récents de l’appel des coquelicots ou encore de l’opération Lundi Vert ont démontré l’importance de ces relais influents.

Alors certes le constat global n’est pas très rose mais pour autant les agriculteurs n’auraient-il pas également leur part de responsabilité dans tout cela ?  Le Salon de l’Agriculture n’entretiendrait pas lui-même chaque année un peu plus de l’image d’Épinal qu’ont les consommateurs de l’agriculture ?

Comme l’a précisé Yves de la Fouchardière, DG des Fermiers de Loué, lors de cette table-ronde « Nous sommes en partie responsables de ce qui nous arrive, nous sommes trop restés concentrés sur nous-mêmes, nous n’avons pas fait les efforts et si vous ne faites pas les efforts vous n’avez aucune chance de réussir quelque chose en communication ». Pour Jean-Marie Gabillaud, vice-président de la CAVAC, « il faut que les agriculteurs se remettent un peu en cause ».

Par ailleurs, les interprofessions agricoles n’ont rien proposé d’intéressant aux consommateurs depuis des années. Leurs publicités manquent souvent d’inspiration et n’offrent au final que des messages assez creux tels que « mangez ceci » ou « mangez cela ». Là encore je vous invite à regarder ces quelques exemples : https://youtu.be/dCWbf0gZFKo 

Alors comment finalement sortir par le haut de cette spirale ? 

Cela passera forcément par une reprise en main de la communication par les agriculteurs eux-mêmes. Il faut à tout prix recréer ce lien perdu entre les consommateurs et ceux qui les nourrissent. Si le monde agricole a souvent brillé par le passé par son silence, son adage « pour vivre heureux vivons caché » ou encore par sa communication maladroite, il va devoir changer de stratégie et miser sur de nouvelles formes d’interactions avec le grand public à base de pédagogie et de storytelling. 

Car au fond les Français restent attachés à leurs agriculteurs, et les études sont là pour le montrer. Un sondage réalisé en 2018 par l’Ipsos pour Opinion Valley confirme que les Français sont attachés à leur agriculture et qu’ils font majoritairement confiance dans lesproduits issus de l’agriculture. 92% des sondés estiment qu’il s’agit d’un secteur stratégique pour la France et 68% disent avoir totalement confiance dans la qualité de l’agriculture française (source : https://www.ipsos.com/fr-fr/les-francais-jugent-leur-agriculture).

Par ailleurs, le magazine britannique « The Economist », qui publie l’indice de durabilité des modèles agricoles et alimentaires dans le monde a classé la France au premier rang pour la 3e année consécutive (source : http://foodsustainability.eiu.com/1512-2/).

Mais, comme l’affirme Emmanuelle Ducros, une des solutions peut aussi venir d’une plus grande ouverture du monde agricole aux journalistes. Selon elle, les agriculteurs ne doivent pas rester en position défensive et penser « que les journalistes (leur) sont hostiles ». Il faut que les agriculteurs prennent selon elle conscience que « les journalistes ne connaissent tout simplement pas le métier d’agriculteur ». Il faut donc « leur expliquer ce que vous faites, sans honte car cela n’a pas à être caché ». 

Il est donc temps que les agriculteurs s’emparent des réseaux sociaux, dépassent leurs craintes et se mettent à communiquer auprès d’un grand public qui veut plus de transparence mais qui souhaite également se reconnecter avec son alimentation. Et qui mieux que ceux qui produisent cette alimentation pour les y aider ? 

Si certains agriculteurs comme Hervé  ou Rémi sont des pionniers et ont montré la voie sur les forums et les réseaux sociaux, c’est désormais toute une génération d’agri-youtubeurs, au premier rang desquels David (Chaîne Agricole), Etienne (Etienne agriyoutubeurre) ou encore Antoine (Agriskippy) qui reprend le flambeau.  

Pourquoi ces derniers ont-ils décidé de tourner des vidéos sur leurs exploitations et de les diffuser sur Youtube ? 

David Forge, agriculteur en Touraine, l’explique très bien : « Il y a 4-5 ans je bossais dans le domaine bancaire et à cette époque mon entourage me posait assez peu de questions sur mon boulot. Mais par contre à partir du moment où j’ai repris l’exploitation ils ont commencé à m’interroger. Et c’est là que j’ai compris que si mes amis se posaient eux-mêmes des questions sur ce métier, cela devait également être le cas pour de nombreuses personnes. Donc j’ai pris ma caméra et j’ai parlé à cette caméra comme si je m’adressais à un ami. Et je fais cela depuis 3 ans ». Mais, David en est persuadé, « il est important de ne rien cacher et d’aborder les sujets avant que ceux-ci ne le soient par des gens qui sont extérieurs au monde agricole. »

Mais tout ceci nécessite que les agriculteurs sortent de leur mode de communication trop souvent défensif ou en réponse à des attaques pour devenir pro-actifs et parler de la passion qu’ils ont pour leur métier. Comme le précise très bien Thomas Bégon (Directeur de la communication chez Bioline by InVivo), « la vraie problématique, c’est que malheureusement, on passe trop de temps à batailler contre les détracteurs. Or, dans l’opinion publique, il y a toujours 10 % des gens qui sont « contre » la profession agricole et 10 % des gens qui la défendent. Les 80 % restants veulent comprendre l’origine de la polémique et savoir si elle est fondée. Rien de plus. Le travail le plus payant est de communiquer vers ces 80 %. »

Mais pour cela il faut évidemment les inciter à le faire et a minima accompagner ceux qui souhaitent se lancer. Cela peut passer par plus d’information ou de formation. Une partie des budgets des interprofessions agricoles consacrés à la publicité ne pourrait-elle pas par exemple être allouée à l’accompagnement de ces agriculteurs ? Certes il y a déjà des structures existantes autour de la communication positive telles qu’AgriDemain ou encore FranceAgriTwittos, mais les agriculteurs peuvent également s’exprimer sans pour autant être rattaché à une structure donnée.

Je terminerais par cette citation de Sun Tzu “Généralement, celui qui occupe le terrain le premier et attend l’ennemi est en position de force ; celui qui arrive sur les lieux plus tard et se précipite au combat est déjà affaibli”. Il serait temps que le monde agricole se mette à plus occuper le terrain sous peine d’être beaucoup trop affaibli à l’avenir. 


Visite de Farm.One, une ferme urbaine new-yorkaise spécialisée dans les herbes et les micro-pousses

Lors de mon récent séjour à New York j’ai eu l’occasion de visiter les installations de Farm.One, la plus grande ferme hydroponique de Manhattan.  Située rue Worth Street, dans le quartier de Tribeca, cette startup a été créée en avril 2016 par Robert Laing, un entrepreneur australien de trente-huit ans. La société a commencé son activité au sein du Institute of Culinary Education mais celle-ci a grandi et est désormais hébergée dans les locaux d’un restaurant étoilé de la ville.

Farm.One s’est spécialisée dans les herbes aromatiques et les fleurs comestibles. C’est après avoir visité des marchés de producteurs à travers le monde et découvert de nombreuses herbes rares, dont il n’avait jamais entendu parler, que Robert Laing a cherché le moyen de proposer des herbes et plantes rares aux chefs qui rencontrent souvent un problème de sourcing/approvisionnement sur ce type de produit. C’est suite à cette réflexion qu’a germé l’idée de lancer Farm.One et son positionnement particulier sur des variétés d’herbes, de micro-pousses et de plantes aromatiques anciennes ou rares, dont certaines sont utilisées dans la cuisine sud-américaine ou asiatique.

L’intérêt des chefs pour Farm.One est fort. En effet, ces herbes et plantes rares permettent d’apporter un relief supplémentaire à un plat car, au-delà de leurs vertus décoratives, elles amènent surtout un saveur ou une texture complétement nouvelle. Et comme dans le milieu de la haute gastronomie la différence se joue sur les détails, les chefs sont friands de ces produits et sont prêts à mettre le prix pour apporter cette touche supplémentaire qui sublimera leurs plats et leur permettra au mieux d’exprimer leur sensibilité culinaire. Certains bars new-yorkais ont également été séduits par les produits proposés par Farm.One, qui leur permettent d’apporter une touche de nouveautés à certains de leurs cocktails, dans cette tendance croissante de l’art de la mixologie.

Dans ses locaux, la startup peut faire pousser environ 580 variétés différentes (dont environ 200 peuvent être cultivées en même temps). On peut notamment y trouver 23 sortes de basilic différentes, de l’oxalis, des brèdes mafane, de la bourrache, de la ciboule rouge, des pousses de pois, de l’herbe à poivre  … (pour voir toutes les variétés proposées, allez jeter un coup d’oeil à leur boutique en ligne). Celles-ci sont cultivées en hydroponie dans des bacs posés sur des étagères et éclairés avec des lumières LED, qui représentent une surface cumulée d’environ 1200 pieds carrés (soit environ 110 mètres carrés).

Lorsqu’elles sont arrivées à maturité, les plantes, herbes et fleurs comestibles sont ensuite vendues à plusieurs restaurants (de Turtle dans le Lower East Side à Daniel dans Uptown ou encore Atera qui les héberge) et des épiceries haut de gamme de la ville (Eataly notamment). Les chefs de ces restaurants sont prêts à mettre le prix qu’il faut afin de s’approvisionner auprès de Farm.One qui proposent des produits qui sont d’une part difficiles à trouver ailleurs, mais surtout qui sont récoltées et livrés le jour même. En effet, de par sa localisation au cœur de Manhattan, une fois que les produits sont emballés ils sont livrés à vélo ou en métro, aux différents restaurants de la ville.

En plus de fournir de nombreux restaurants, Farm.One ouvre ses portes au grand public afin de faire connaître tant leur méthode de production que leur démarche. Avant d’entrer dans la pièce, il faut enfiler une combinaison, mettre un filet sur les cheveux et des sur-chaussures afin de respecter les normes d’hygiène. En effet, l’espace est hermétiquement clos pour que les insectes n’y pénètrent pas. Ce qui frappe en entrant c’est la taille de la pièce. Alors que les photos laissent à croire que la ferme urbaine est assez grande, la pièce dans laquelle Farm.One produit toutes ces herbes est finalement assez petite (environ 30 mètres carrés). Farm.One travaille en biocontrôle, grâce notamment aux solutions développées par Bioline, filiale du groupe coopératif français InVivo. On y croise donc quelques coccinelles qui se baladent sur les différentes plantes.

J’ai trouvé que Farm.One se démarque vraiment des autres fermes urbaines car elle s’est spécialisée sur une niche intéressante et bien valorisée. Là où d’autres fermes vont cultiver des poivrons ou des salades qui seront vendues à des particuliers avec une valeur ajoutée parfois trop faible. Le parti pris de Farm.One de se concentrer sur des herbes et plantes comestibles rares à destination des professionnels de la gastronomie, qui sont prêts à mettre le prix pour obtenir une exclusivité sur certains produits, me semble beaucoup plus viable à long terme.

D’ailleurs après New-York, Farm.One cherche à s’étendre à de nouvelles villes, que ce soit aux Etats-Unis, en Asie, et pourquoi pas à Paris.

Farm.One ouvre ses portes au public avec une visite guidée qui a lieu en fin d’après-midi moyennant 50$. Il s’agit d’un tour d’une heure qui comprend la visite des installations, une dégustation de certaines herbes et fleurs, un verre de prosecco et une boite avec quelques sachets des produits récoltés le jour même. La réservation se fait en ligne à cette adresse : https://farm.one/tours/.

 

Infographic : the blockchains of food

Blockchains has been a buzzword since the soaring of bitcoin and its growing media coverage in 2017. Some even see it as the new Internet revolution.

While the agri-food sector has had to deal with several health scandals in recent years (eggs contaminated with Fipronil in Europe, the case of contaminated milk at Lactalis in France …), what is the usefulness of blockchains in the food chain? What are the uses cases of blockchain in the food chain? Finally, what does the blockchain ecosystem look like in the food chain and what are the startups and players who have or are working on blockchain projects?

I made this infographic to take stock.

This infographic is also available in pdf format, send me an email and I’ll be happy to send it to you.

PS: if you have a blockchain project and would like to be added to this infographic do not hesitate to leave me a comment.

Infographie : les blockchains dans l’alimentaire

Les blockchain ont beaucoup fait parler d’elles depuis l’envolée du bitcoin et sa médiatisation croissante en 2017.  Certains les voient même comme la nouvelle révolution d’Internet.

Alors que le secteur agroalimentaire a dû faire face à plusieurs scandales sanitaires ces dernières années (oeufs contaminés au fipronil, affaire du lait contaminé chez Lactalis…), quelle est peut être l’utilité des blockchains dans la chaîne alimentaire? Quels sont les cas concrets d’utilisation des blockchain ? Enfin, à quoi ressemble l’écosystème des blockchain dans la chaîne alimentaire et quelles sont les startups et les acteurs qui ont mis ou ont des projets de blockchain?

J’ai réalisé cette infographie pour faire le point .

L’infographie est également disponible au format pdf, envoyez moi un mail et je me ferais un plaisir de vous l’envoyer.

PS : si vous avez un projet blockchain et que vous souhaiteriez être ajouté sur cette infographie n’hésitez pas à me laisser un commentaire.

Mise à jour : ajout de Bureau Veritas le 22/05/2018

Mise à jour : ajout de Blockgrain le 23/05/2018